Femmes dans l’histoire de l’illustration naturaliste

Les femmes dans l’histoire de l’illustration naturaliste

Si aujourd’hui la profession a plutôt l’air paritaire et même à l’avantage des femmes, cela n’a pas toujours été le cas. Longtemps, les femmes se sont vues refuser l’accès aux sciences. Quand celles-ci y entraient c’était bien souvent dans l’ombre d’un père, d’un mari ou d’un frère. Quelques unes ont réussi à s’imposer et se faire un nom dans l’histoire de l’illustration naturaliste. La pratique se développe à la Renaissance avec les grandes explorations et les colonisations par les Européens. On souhaite alors réaliser un inventaire de la faune et de la flore autour du monde, s’en suit un fort attrait pour la collection. En effet, on collectionne des objets, on créer des cabinets de curiosités, on cultive des jardins botaniques. C’est tout un réseau qui se déploie autour des espèces naturelles où l’on échange spécimens et informations. Et les femmes sont nombreuses à y participer.

La naissance de l’illustration naturaliste

Les premières illustrations naturalistes peuvent être datées précisément de 1530. Les botanistes commencent à faire réaliser des illustrations de plantes d’après le vivant. Un des premiers ouvrage emblématique de l’illustration naturaliste est le Herbarum vivae eicones d’Otto Brunfels. 135 espèces sont représentées de manière réaliste. On y voit les plantes complètes jusqu’aux racines. De fait, une image naturaliste a pour but de renseigner de manière scientifique une espèce observée dans la nature. Accompagnée d’un texte ou d’annotations, l’illustration naturaliste permet la compréhension de ce texte.

L’allemande Maria Sibylla Merian (1647-1717) est la première femme à être reconnue dans la sphère scientifique de l’époque. Née dans une famille d’artistes, elle se passionne très vite pour l’entomologie. Elle fait paraître en 1679 La merveilleuse et étrange transformation des chenilles mangeuses de fleurs, sur 3 volumes, le dernier paraît après sa mort en 1719. On y découvre grâce à ses illustrations, les différents stades de vie de ces insectes. Ils sont également représentés dans leurs environnements naturels puis, on trouve aussi les insectes parasites de la chenille.

Dans sa démarche de naturaliste, Merian se rend au Surinam pour y étudier les papillons. Peu de femmes voyagent d’elles-mêmes pour l’étude de spécimens dans leurs milieux. En effet, celles-ci accompagnent leurs maris et en profitent une fois sur place pour représenter en peinture plantes et animaux. Ses deux filles Johanna Helena Graff et Dorothea Maria Graff seront elles aussi illustratrices. Parfois critiquée pour quelques inexactitudes, l’œuvre de Merian est considérée comme exceptionnelle. Elle sera souvent reprise et copiée par la suite.

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Maria Sibylla Merian, Papillons morphos Achilles et branche d’acérola

En France, Françoise-Madeleine Basseporte (1707-1780) est la première femme reconnue comme peintre illustratrice naturaliste. Elle reçoit une formation complète autour du dessin et plus particulièrement en matière de botanique. Ses travaux sont réalisés aux pastels, technique qu’elle maîtrise parfaitement. Son parcours, son talent et ses rencontres l’amène à devenir peintre attachée au jardin du roi sous les règnes de Louis XIV et Louis XV. Et ce n’est pas rien !

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Françoise-Madeleine Basseporte, Passiflore
L’empreinte des femmes dans l’histoire de l’illustration naturaliste

L’illustration naturaliste accompagne les évolutions technologiques des procédés de productions et d’impression, à l’invention du microscope et de la photographie. Ces nouveautés permettent une grande précision et une justesse dans la représentation. L’image facilite l’apprentissage et conserve la trace de spécimens qu’on ne peut naturaliser. L’illustration naturalise est considérée depuis la Renaissance comme un genre mineur qui ne demande pas une réelle expertise scientifique. C’est pourquoi la présence de femme dans la discipline est acceptée.

Beaucoup d’illustratrices sont d’origine anglaise, à l’image d’Elizabeth Gould (1804-1841) qui illustre quantité de productions de son mari, John Gould. Elle produit des aquarelles et lithographies principalement sur des oiseaux. Leurs travaux sont entrepris en binôme. Lui, apporte les croquis et oiseaux qu’il naturalise et Elizabeth réalise les planches qui sont reproduites dans de nombreux ouvrages qu’ils publient. Par la suite, elle sera souvent assistée d’un autre illustrateur Edward Lear car la tâche est considérable. Malheureusement, son travail reste dans l’ombre de la carrière scientifique de son mari. Bien que celui-ci soit parfaitement conscient et reconnaissant de son implication, elle demeure en retrait.

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Elizabeth Gould, Autours blancs

Anna Atkins (1799-1852), fille d’un naturaliste anglais, reçoit une éducation scientifique encore trop rare pour les femmes de l’époque. Elle commencera par illustrer pour d’autres des ouvrages sur les mollusques et coquillages. Plus tard, elle profite de l’invention récente de procédés photographiques pour illustrer ses propres publications. Avec British Algae, elle utilise l’impression en cyanotype pour laisser sur le papier photosensible l’empreinte détaillée d’un végétal.

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Anna Atkins, Fougères en cyanotype

A la même époque, Priscilla Susan Bury (Falkner) (1799-1872) illustratrice botanique se lie d’amitié avec un botaniste amateur. Ce qui l’amènera à contribuer à la publication d’ouvrage et à en réaliser les illustrations.

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Priscilla Susan Bury, Amaryllis

Dans leurs sillages, Marianne North (1830-1890) laissera son empreinte dans l’histoire de l’illustration naturaliste avec la création d’une galerie par les jardins botaniques royaux de Kew à l’ouest de Londres. Galerie construite à la suite de sa demande et dans laquelle on peut encore admirer les 800 peintures qu’elle a pu amasser après avoir parcouru le monde pour peindre d’après nature.

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Marianne North, illustration botanique

Anne Pratt (1806-1893) mènera une belle carrière d’illustratrice dans le domaine de la botanique. Grâce à ses écrits de vulgarisation scientifique, elle assure la diffusion de connaissances à un public plus large. Malgré une vingtaine d’ouvrages entièrement rédigés et illustrés avec exactitude de sa main, sa pratique autodidacte est vivement critiquée (les jaloux sont partout). Cela n’empêchera pas son travail de servir de véritable outils de références durant des décennies.

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Anne Pratt, Orchidées
La difficulté de s’imposer dans un milieux misogyne

La place des femmes en science et en histoire naturelle fut longtemps très marginale et très variable en fonction des pays, de l’époque et des disciplines. Leur accès aux sciences semble se fermer un peu plus au XIX siècle alors que les disciplines s’élargissent et s’affirment.

L’exemple de Beatrix Potter (1866-1943) en dit long. Connue pour ses albums pour enfant, Potter se voyait embrasser une carrière d’illustratrice naturaliste. Malgré des recherches et découvertes poussées et crédibles sur les champignons et lichens, elle est ignorée par la société linnéenne de Londres qui n’accepte toujours pas les femmes dans son cercle. Ecœurée par la misogynie ambiante, Potter se tourne alors vers la littérature jeunesse et rencontrera le succès qu’on lui connaît.

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Beatrix Potter, Cèpes

A la fin du XIX siècles, les universités s’ouvrent peu à peu aux femmes et celles-ci peuvent être admises aussi bien en tant qu’étudiantes, qu’enseignantes ou chercheuses. Ce sera le cas de l’américaine Anna Comstock (1854-1930). Comstock est en quelque sorte la créatrice des guides naturalistes. Avec le manuel de l’étude de la nature à l’attention des professeurs et parents qu’elle édite par le biais de sa propre maison d’édition créée avec son mari entomologiste, elle y fait découvrir la faune et la flore américaine au grand public. Son nom apparaît sur les couvertures de ses ouvrages dont elle réalise les illustrations et écrit une partie des textes en binôme avec son mari. S’en suivra la naissance d’un véritable mouvement pédagogique : le « nature study ».

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Anna Cormstock, Abeilles

La peintre et céramiste française Eléonore Escallier (1827-1888), spécialiste dans la représentation de fleurs et de fruits se porte candidate en 1858 au poste de directrice de l’école de dessin pour les femmes que projette de créer la Société des amis des arts de Dijon. Par la suite, elle enseigne les fleurs et la décoration à l’École impériale de jeunes filles. Son travail est reconnu et apprécié de son vivant. En 1860, Escallier reçoit une médaille d’argent à l’Exposition de Troyes (grand événement regroupant 2000 exposants de tous horizons). En 1862, elle est invitée à exposer au Salon des amis des arts de Besançon et, en 1869, au Salon de la Société des amis des arts de Bordeaux.

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Eléonore Escallier, Nature morte

Bien que les mentalités évoluent petit à petit, le peu de femmes engagées dans les sciences voient constamment leur travail remis en cause. Souvent, il faut attendre qu’un homme valide par sa propre observation, un fait précédemment constaté par une femme pour que celui-ci soit accepté. L’illustratrice écossaise Jemima Blackburn (1823-1909) produit des illustrations d’après nature remarquables et réalistes qui comportent des scènes de vie tirées sur le vif. Par son étude d’un jeune coucou éjectant les oisillons du nid qu’il parasite, elle est la première à montrer ce comportement. Bien-sûr, cette observation sera mise en doute…

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Jemima Blackburn, Jeune coucou éjectant du nid un poussin
L’art comme engagement féministe

Une figure majeure de la peinture naturaliste et œuvrant pour la reconnaissance des femmes dans une société qui leur interdit encore trop l’accès aux savoirs et savoir-faire, j’avais omis (merci François de Beaulieu pour le rappel) Rosa Bonheur (1822-1899). Initiée très jeune auprès de son père professeur de dessin, à dix-neuf ans, elle expose pour la première fois au Salon de la peinture et de la sculpture. Dès 1842, elle se rend dans les abattoirs de Paris pour étudier l’anatomie des animaux. A chaque fois, elle doit demander une autorisation de la préfecture de police pour pouvoir travailler en pantalon, vêtement réservé aux hommes. Persuadée que les animaux ont une âme, son travail est reconnu par l’Etat qui lui passe commande. Bonheur recevra la légion d’honneur remise par l’Impératrice Eugénie.

Personnalité très affirmée, aujourd’hui icone féministe, on lui doit cette phrase adressée à un homme insistant : “Cher Monsieur, si vous saviez comme je m’intéresse peu à votre sexe ! En matière de mâles, je n’aime que les taureaux que je peins”.

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Rosa Bonheur, L’aigle blessé

Révolutionnaire, politicienne, activiste féministe et peintre chinoise, He Xiangning (1878-1972) se distingue des autres artistes femmes de son époque, puisque ses œuvres s’inscrivent aussi bien dans l’histoire de l’art chinois que dans l’histoire de la révolution nationale. Comprenant qu’il est nécessaire que quelqu’un participe à la conception des emblèmes et drapeaux révolutionnaires, elle s’inscrit, en 1909, à la Hongo Women’s School of Fine Arts à Tokyo où elle vit avec son mari. Elle y apprend notamment l’art de la peinture animalière. Lorsqu’ils reviennent Chine en 1916, c’est pour promouvoir la cause révolutionnaire. Xiangning est nommée ministre des Droits des femmes dans le gouvernement nationaliste de Sun Yat-sen. Elle organise alors, le premier rassemblement de la Journée internationale des femmes en Chine, le 8 mars 1924. Son œuvre, mélange de techniques occidentales et de traditions chinoises et japonaises prend pour sujet la faune et la flore symboles de la culture chinoise.

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He Xiangning, Lion
Ailleurs dans le monde

Pour finir, je n’ai malheureusement trouvé trop peu d’info concernant des illustratrices hors Europe et Amérique du Nord, mais il y a forcément eu des pionnières !

Alors si vous, lecteurs, avez des connaissances en la matière, n’hésitez pas à le faire savoir en commentaire et je ferai des mises à jour de l’article.

Pour poursuivre l’histoire de l’illustration naturaliste générale, je vous conseille le livre Histoire de l’illustration naturaliste de Valérie Chassignaud qui m’a fourni la majorité des informations compilées ici. Ainsi que le site awarewomenartists.com qui œuvre pour rendre visible le travail d’artiste femme du XIX° et XX° siècles.

Image de l’article : muscardin, Alicia Pénicaud Illustrations

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