Histoire de l’illustration ornithologique part. 2
Pour cette suite et fin de l’histoire de l’illustration ornithologique, nous poursuivons avec le XIXème siècle qui est considéré comme l’âge d’or de l’ornithologie. En effet, la discipline suscite de plus en plus d’intérêt. Les passionnés multiplient les spécimens pour composer des collections, et les nombreuses explorations à travers le monde permettent le recensement de nouvelles espèces. A partir de là, le besoin en illustration devient indissociable de ces découvertes.
Le XIXème siècle : L’essor de l’illustration ornithologique
Au siècle précédent, avec les expéditions et les colonies européennes, les ornithologues et amateurs profitent du savoir-faire d’artistes locaux. Quelques indiens comme Khuleelooddeen vont alors peindrent les oiseaux endémiques de leurs régions. Malgré leurs talents peu d’œuvres seront signées de leurs noms.
L’indien Shaikh Zayn Al Din actif entre 1777 et 1782, est considéré comme le premier artiste à avoir travaillé pour Mary Impey (1749 – 1818) historienne naturaliste anglaise. Ici, il peint d’après nature et sur le vif les oiseaux de la ménagerie d’Impey. L’artiste a été formé au style Patna Kalam. Cette école s’inspire de trois autres : persane, moghole et britannique. L’aspect principal de l’école Patna Kalam est qu’elle se concentre sur la vie quotidienne. En effet, il n’y a pas de paysage au premier plan ou en arrière-plan. Les peintures sont réalisées directement sur le support sans esquisses préparatoires.
L’importance des formes et des couleurs
Représenter des oiseaux du monde revient à expérimenter les techniques graphiques et les couleurs. A l’image de John-James Audubon (1785 – 1851) que l’on ne présente plus, c’est le nom que l’on associe d’emblée à l’illustration ornithologique. Pourtant, malgré ses observations de terrain, Audubon n’a jamais vraiment peint des oiseaux vivants. Il chassait et capturait sa victime, puis une fois sans vie, il lui faisait prendre la position qu’il souhaitait représenter et fixait celle-ci à une planche quadrillée à l’aide d’épingle. Ensuite, il reportait ces carrés sur son papier pour reproduire l’animal à l’identique. Les attitudes n’étaient donc pas toujours très convaincantes. La réalité de ses peintures réside beaucoup plus dans l’utilisation des couleurs.
Audubon utilisait un mélange de technique, comme la mine de plomb, les pastels, l’huile, la gouache blanche, les encres et vernis. L’iridescence créée par la mine de plomb ainsi que l’aquarelle est parfaite pour évoquer un plumage. Pour marquer plus ou moins les plumes, il dilue ou bien charge en pigment sa peinture. Pour faire un noir profond, il procède par couche successive de bleu, de vert, de marron et de violet. De plus, Audubon élabore de véritables compositions, il redonne vie aux oiseaux en les plaçant dans un décor travaillé et détaillé.
Le français d’origine creusoise 🙂 Jacques Barraband (1768 – 1809) formé dans une école de dessin d’Aubusson, monte à Paris et s’intéresse à la zoologie et plus particulièrement à l’ornithologie. Il réalisera un grand nombre de peintures et d’illustrations d’oiseaux exotiques. Il contribue à la recherche scientifique grâce à la justesse de ses dessins. Son travail était très apprécié de Joséphine de Beauharnais et Napoléon. Ses gravures aquarellées sont très recherchées encore aujourd’hui.
L’une des élèves de Barraband : Pauline de Courcelles Knip (1781 – 1851) s’est particulièrement intéressée à répertorier la grande famille des colombidés. Ses illustrations sont des gravures imprimées en couleurs et elles sont toutes reprises par l’artiste. L’ensemble de ces illustrations de pigeons est compilé dans un ouvrage Les pigeons, publié en 1838.
Autre femme artiste à mentionner est l’anglaise Sarah Stone (1760 – 1844). Ses travaux comprenaient de nombreuses études de spécimens ramenés en Angleterre d’expéditions en Australie et dans le Pacifique. Ses illustrations font partie des premières études d’espèces aujourd’hui disparues, d’où leurs importantes sur le plan scientifique. Elle a travaillé comme peintre et illustratrice scientifique entre 1777 et 1820. Elle s’est composée une collection de plus d’un millier d’aquarelles basées sur des spécimens naturalisés du Leverian Museum (grande collection londonienne depuis dispersée aux enchères).
L’émergence de la lithographie
A partir de ce début de siècle, la lithographie, invention nouvelle va supplanter la gravure pour devenir la technique d’impression première.
Inventée par un auteur de théâtre allemand : Aloÿs Senefelder pour imprimer ses œuvres à moindre coût, la lithographie va conquérir rapidement le monde de l’image.
Cette technique consiste à effectuer le dessin à la plume, pinceau ou crayon sur une pierre calcaire. Le gras issu du tracé est fixé par un apprêt. Ensuite, après avoir été humidifiée, la pierre est encrée. Comme la pierre est poreuse, elle va retenir l’eau sauf aux endroits du tracé. On place alors une feuille sur la pierre et on met le tout sous presse (lithographique ou à rateau). L’impression peut être répétée autant de fois que l’on souhaite.
L’anglais William Swainson (1789 – 1855), va être l’illustrateur naturaliste à utiliser la lithographie rapidement pour ses illustrations et contribuer à son essor dans le milieu. Coloriste hors pair, il imprime donc lui même grâce à ce procédé et ajoute la couleur à l’aquarelle. Entre 1820 et 1823, il publie les trois volumes qui composent Zoological illustrations.
Par la suite, d’autres illustrateurs feront de la lithographie leur principal outil de travail et de publication. A l’image de l’ornithologue anglais Prideaux John Selby (1788 – 1867) qui dessine directement sur la pierre. Il s’associé à Edward Lear (1812 – 1888) qui réalise beaucoup d’illustration pour son compte. Lear est un des premiers à dessiner les oiseaux vivants et grandeur nature. Excellent dessinateur, il réalise un travail préparatoire à base de croquis rapide aux traits sûrs d’après nature. Ses lithographies étaient colorisées à l’aquarelle et il laissait le perchoir en noir et blanc. Ses planches ornithologiques sont emblématiques et encore très populaires aujourd’hui.
Un artiste américain William Llyod Baily (1862 – 1947) a publié en son nom plusieurs ouvrages sur les colibris. Il réalisait lui-même les illustrations à l’aquarelle auxquelles il ajoutait des touches de feuilles d’or et d’argent pour rendre l’iridescence du plumage. Correspondant avec John Gould, il lui avait fait part de sa technique et par la suite Gould l’utilisera en s’en attribuant tout le mérite.
Joseph Wolf (1820 – 1899) illustrateur allemand va travailler pour Gould après la mort d’Elisabeth Gould. Il faisait beaucoup d’observations de terrain et met l’accent sur la bonne répartition des plumes.
Peu à peu, les habitudes en places évolues. Ainsi, durant le XIX siècle l’ornithologie devient plus sensible et la mise à mort de l’oiseau n’est plus systématique. Cette pratique commence à être critiquée et profite au développement de l’observation de terrain. On sort enfin des ateliers et le dessin d’après nature sur un oiseau vivant dans son milieu naturel se démocratise.
Le XXème siècle : l’éthologie des oiseaux
Ce nouveau siècle va amener avec lui un intérêt nouveau pour les oiseaux. Etant enfin sortis des ateliers pour dessiner d’après nature, les illustrateurs ornithologues vont être poussés à regarder les oiseaux dans leurs milieux naturels et donc être témoin de leurs comportements. Ce sont les débuts de l’éthologie : l’étude du comportement des animaux.
Graceanna Lewis (1821 – 1912) est une naturaliste et illustratrice américaine. Elle étude les sciences naturelles et parvient à enseigner. Experte dans le domaine de l’ornithologie, l’oriole leucoptère, Icterus graceannae est nommé en son honneur. Elle donne des conférences privées malheureusement elle ne peut s’élever plus dans ce milieu d’hommes. Elle est décrite comme une scientifique pionnière et une militante engagée dans le mouvement contre l’esclavage, contre les méfaits de l’alcoolisme et dans la lutte pour le droit de vote des femmes.
D’autre part, l’évolution des techniques d’impressions change la nature des illustrations. L’amélioration de la lithographie aboutit à la chromolithographie. Ainsi, les coûts d’impression des ouvrages en couleurs baisse. Le phénomène va s’accélérer avec l’apparition des procédés photomécaniques en trichromie et quadrichromie.
Léo Paul Samuel Robert artiste suisse (1851 – 1923) utilise la chromolithographie. Il révèle les détails du plumage, dessine des postures et des modèles très expressifs. Les sujets sont dans leurs environnements et les scènes sont montrées du point de vue des oiseaux. Léo-Paul Robert à la fin de sa vie peint des centaines d’aquarelles d’insectes et d’oiseaux. Pour travailler, il s’immerge en pleine nature. En fin observateur, il recherche la perfection. Il illustre plusieurs ouvrages en couleur, dont notamment Les oiseaux dans la nature, 1879, seconde édition chez Delachaux & Niestlé en 1916.
L’aquarelle reste un moyen simple et pratique pour réaliser les illustrations sur le terrain. C’est alors qu’on voit apparaitre les premiers guides ornithologiques. Richement illustrés avec les espèces mâles et femelles, en vue de profil, ils facilitent l’identification.
Paul Barruel (1901 – 1982) est un illustrateur parisien qui se passionne pour la faune aviaire. Ses illustrations sont remarquables grâce aux traitement des couleurs. Il s’étend moins sur les détails mais les attitudes et les couleurs sont très justes. Pour certaines de ses publications, il utilisera une technique un peu moins connue mais très précise au rendu extrêmement net : l’héliogravure. L’héliogravure reprend le même procédé que sa cousine la gravure en taille douce que nous avions vu lors de la part.1. Mais ici, le vernis protecteur est ici remplacé par une gélatine photosensible. C’est son exposition aux UV du soleil (hélio) qui va donc transférer le dessin sur le papier.
Dans un tout autre style, Roger Rory Peterson (1908 – 1996) est l’illustrateur des guides de terrain. Sous la forme que l’on connait toujours de nos jours, il représente les oiseaux de profil, respecte les différences de tailles, souligne les morphologies, et les couleurs ainsi que les dimorphismes sexuels.
Pour finir cet historique pas du tout exhaustif de l’illustration ornithologique, voici une illustratrice dont j’admire beaucoup le travail : Alex Warnick.
Warnick (née en 1988) est américaine. Son travail est le fruit d’observation de terrain reprit en atelier. Elle s’inspire des styles de Mark Catesby et Jacques Barraband. Elle a illustré plusieurs guides de terrain et voit son travail régulièrement publié dans des magazines ornithologiques.
Concernant les techniques, l’apparition de la photographie n’a pas découragé les illustrateurs. D’ailleurs, les deux disciplines se complètent et les livres spécialisés associent souvent les deux.
Sources et recommandations
Livres : Histoire de l’ornithologie. Valérie Chansigaud aux éditions Delachaux et Niestlé.
Les oiseaux. Jonathan Elphick aux éditions Mengès ou Delachaux et Niestlé.
A bird guide to the fields of experience, vol 1 et 2. Frank Jarvis aux éditions Chatterpie. Superbes ouvrages illustrés qui sont des journaux de terrain de l’illustrateur anglais Frank Jarvis. Disponibles uniquement en anglais.
Image de l’article : rougequeue noir, Alicia Pénicaud.